O. Arendt © rtbf.be
Petite histoire de cette “Pride” à la belge avec Chille Deman qui fut président lors des 5 premières éditions et qui est redevenu président depuis les 5 dernières éditions, dont celle de 2015.
De quand date le mouvement de revendication homosexuel moderne ?
“Dans les années 50 et 60, il existait déjà un mouvement homosexuel aux Etats-Unis et en Europe. Des hommes en costume trois pièces et des filles en tailleur manifestaient “dignement” ou demandaient des droits – ou au moins de l’indulgence – pour des gens qui “étaient peut-être déviants” mais qui étaient tout de même “respectables”. Il y avait en même temps le circuit caché des bars et des endroits de rencontre, semi ou tout à fait clandestins”.
Pourtant on évoque souvent la naissance du mouvement homosexuel moderne dans un bar gay de New York en 1969 ?
“Oui, le Stonewall Inn, est un bar dans Christopher street à New York, fréquenté par des travestis. A l’époque, les Etats-Unis interdisaient le déguisement en dehors de la période de carnaval. Il était tout à fait interdit de mettre les vêtements du sexe opposé et la police organisait régulièrement des descentes dans le bar en question. Celui/celle qui ne pouvait pas s’enfuir à temps, passait une nuit au poste. Le soir du 28 juin 1969, les combis s’arrêtèrent devant le bar et les flics se préparaient à casser du travesti. Mais 1969 n’était pas une année comme les autres: le mouvement contre la guerre au Vietnam devenait un mouvement de masse et la lutte pour l’émancipation des noirs américains prenait de l’ampleur avec notamment les Black Panthers… les homosexuels ne pouvaient pas rester sur le côté. J’ai un malin plaisir à attirer votre attention sur un fait assez remarquable: la première révolte ouverte des homosexuels s’est faite sur des talons aiguilles, en robes moulantes et avec des perruques impressionnantes. C’était la bataille des sacoches contre les matraques des flics. Un vent de liberté a soufflé dans le Gay New York et les gens accourraient de toutes parts vers Stonewall. La bataille rangée avec la police a duré trois jours; la honte avait disparu comme par enchantement. Les mots d’ordre étaient “Gay power” et “Gay Rights Now”, à l’instar des revendications du mouvement noir. Les événements de Stonewall ont fait sauter le couvercle de la honte et sont commémorés chaque année par la Gay Pride de New York… et par de plus en plus de parades dans le monde entier”.
En Belgique il faut attendre 1979 pour qu’à Anvers se déroule une première manifestation de rue des homosexuels belges, mais ils semblent divisés sur l’idée d’en faire une ” Pride “. Le mouvement est alors essentiellement revendicatif ?
“On s’inspire alors des “Roze Zaterdag” qui existaient aux Pays-Bas et la manifestation a lieu dans diverses villes tous les deux ans et ce dès 1990″.
Grand changement alors, quand le 18 mai 1996: le cortège s’installe à Bruxelles pour ne plus la quitter depuis ?
“Oui nous voilà à Bruxelles! Il y eut beaucoup de concertations à partir de septembre 1995 et une cinquantaine d’associations de l’ensemble du pays ont décidé de créer une association coupole. Les flamands ne se retrouvaient plus dans le “Roze Zaterdag” tandis que les francophones penchaient plutôt pour une formule plus festive la “Gay Pride”. Une assemblée tumultueuse a finalement opté pour un “compromis à la belge”. Le nouveau nom serait dorénavant : “Belgian Lesbian and Gay Pride – Roze Zaterdag – Samedi Rose”. Il s’agissait d’un énorme défi, on se lançait dans l’inconnu. Des masses d’énergie et d’enthousiasme se mettaient en branle et c’était contagieux… même la politique s’y mettait en la personne de Anne Van Asbroeck, Ministre flamande de l’égalité des chances, qui a financé un spot publicitaire télé appelant la Flandre entière à participer à la BLGP – Roze Zaterdag. La société Roularta, régissant les télés commerciales en Flandre, s’est opposée à ce spot en invoquant le caractère “antifamilial” de l’initiative. Le boycott a pu être déjoué. Il faut aussi dire qu’à Bruxelles, le bourgmestre de l’époque nous avait autorisés du bout des lèvres et le parcours ne traversait aucuns quartiers centraux de la ville”.
Et comment cela fut-il ressenti ?
“Nous fumes très surpris car à l’époque la télé avait surtout montré des images du char de La Démence: des masses de muscles huilés en string, entourées de travestis! Quelle honte, quelle image épouvantable! Nous voulions que les médias montrent la parade qui s’ouvrait par un drapeau arc-en-ciel de 50 mètres de long et une calèche transportant deux couples: deux filles et deux garçons. Mais non, la télé montrait des torses nus! Nous voilà partis pour des mois de discussions sur l'”opportunité” de garder des personnages extravagants dans la Pride. La conclusion fut que tout le monde était le bienvenu à la Gay Pride – à condition de respecter les “mœurs publiques” – et qu’il fallait que l’on fasse plutôt un travail de conviction envers la presse, question de les convaincre de donner une information équilibrée”.
Fin des années 90 les choses bougent ?
“1998 apportait un petit changement dans le parcours: le cortège se terminait place Rouppe, ce qui nous rapprochait quand même un peu du centre. Cette troisième édition comptait déjà 6.000 participants. C’est aussi en 1998 que l’on a pris l’initiative d’organiser une “semaine rose”, devenue “semaine arc-en-ciel” par la suite. 1999 a été une année charnière à plusieurs égards. Un comité de soutien – avec une centaine de signatures du monde politique et artistique – a été créé pour soutenir les deux revendications principales et un premier débat politique a réuni nombre de présidents de partis. En effet, les élections fédérales s’annonçaient pour le 13 juin et nous demandions que nos revendications principales – la loi contre la discrimination et la reconnaissance du couple – soient reprises dans la déclaration gouvernementale. Nous avons été entendus: le nouveau gouvernement arc-en-ciel l’a fait!Nous avions aussi augmenté la pression pour obtenir de la Ville un meilleur parcours. Des centaines de commerçants du centre ont signé une pétition disant qu’ils ne voyaient aucun inconvénient à ce que la BLGP passe dans leur quartier. Le bourgmestre a superbement ignoré cette démarche”.
Année 2000 un cap ?
“Les élections communales en octobre 2000 offre une nouvelle majorité à Bruxelles-ville avec Freddy Thielemans comme bourgmestre et un tout nouvel échevin de l’égalité des chances – un gay qui ne se cache nullement – Bruno De Lille. Et tout change pour la BLGP. Au lieu d’être “tolérés” par la Ville, nous devenons des hôtes de marque. La semaine arc-en-ciel commence par une réception officielle à l’hôtel de ville. Même le parlement bruxellois s’y met: la présidente, Magda De Galan organise une réception durant laquelle, on hisse le drapeau arc-en-ciel sur le bâtiment. Un calicot énorme annonce la BLGP, tout près de la Bourse et la ville organise un concours pour les commerçants: “les vitrines roses”. Lors du cortège, le drapeau arc-en-ciel de 25 mètres est applaudi par des centaines de spectateurs sur les marches de la Bourse. Nous sommes le 5 mai 2001 et la BLGP a enfin conquis le centre de Bruxelles”.
“Un an plus tard: nous sommes le 4 mai 2002, septième édition de la pride. De nouvelles élections fédérales s’annoncent et nos revendications se trouvent encore toujours dans les tiroirs du gouvernement arc-en-ciel. Depuis janvier 2000, nous avons bien le “contrat de cohabitation légale” mais cette disposition n’a quasi pas de contenu sauf son importance symbolique. La télé montre des images de ” lesbigays ” déçus, voir en rage! Mais l’inespéré se réalise quand même en dernière minute: la loi contre la discrimination, notamment sur base de l’orientation sexuelle, passe en décembre 2002. Et début 2003, nous assistons à l’ouverture du mariage aux couples du même sexe. Le droit à l’adoption n’est pas inclus et il y a quelques restrictions supplémentaires (le partenaire étranger doit provenir d’un pays où le mariage gay est autorisé. En 2003, cela veut dire que l’on peut se marier uniquement avec quelqu’un des Pays-Bas. Ce qui limite les perspectives! “.
A ce moment-là, La Belgique se trouve tout à coup en tête en matière de réalisation des droits des lesbigays dans le monde. Est-ce la fin des revendications ?
” Pour nous, il faut maintenir la pression pour que les droits soient réalisés pleinement. “We want more” est le slogan de cette huitième édition et le nombre de participants tend vers les 20.000. Les femmes et hommes politiques présents sont appelés sur le podium et reçoivent une rose (mais pas la parole)! “.
En 2005: la dixième BLGP attire 25.000 participants sous le thème “It’s a Family Affair” on y revendique l’adoption
” Oui, l’obtention de l’adoption devient urgente parce que les élections fédérales se pointent à nouveau à l’horizon. On se concentre sur cette question en disant “It’s a Family Affair”, tout en faisant un grand clin d’œil à la grande famille ” lesbigay ” internationale. Et nous faisons le plein: le cap des 25.000 participants est atteint!
On teste une nouvelle formule: une fête populaire et un village ” lesbigay ” dans le quartier Saint-Jacques et la soirée à l’Ancienne Belgique, avec Chantal Goya en guise d’apéritif. La marche et le village sont un succès et l’AB est trop petite. Quelques mois plus tard, l’adoption devient un acquis. Nos revendications légales sont réalisées pour l’essentiel “.
La fin du combat ?
“L’édition de 2006 a failli être annulée mais s’organise malgré tout. Il y a moins de participants (17.000); les associations sont moins impliquées mais un petit groupe de nouveaux bénévoles convaincus remet la machine en marche… et nous voilà repartis! Cette année, le bourgmestre Thielemans tient son speech sur le balcon de la Maison Arc-en-Ciel. Au même moment, la Gay Pride de Moscou se fait tabasser par des contre-manifestants et la police intervient à peine. Il est clair que la solidarité internationale doit devenir une part importante de nos initiatives. Nous avons obtenu pas mal en Belgique, tandis qu’en Iran, des homosexuels sont pendus! Il est temps d’intensifier nos liens de solidarité avec le reste du monde”.
Passer d’une journée de lutte à une grande fête populaire c’est ça le changement ?
“Pour nous 2009 était une année de transition sous le slogan “Change your mind”. Un partenariat structurel a été entamé avec la Ville de Bruxelles et la Région de Bruxelles-Capitale. Depuis cela a pris de l’ampleur et depuis maintenant trois ans VisitBrussels (L’office du tourisme) est devenu coproducteur de la Pride. Les chiffres de participants s’envolent pour atteindre 100 000 personnes l’an dernier, ce qui nous place dans les 10 évènements majeurs à Bruxelles.
Cette année, outre les trois derniers jours de fête générale et le cortège annuel, un programme vaste et varié est également à découvrir tout au long des deux semaines de ce qui est aujourd’hui un vrai festival. Si l’ambiance et la joie de vivre sont les maîtres-mots de la Pride à Bruxelles, c’est aussi le moment de continuer à brandir des revendications de liberté et de tolérance pour nous, en Belgique, qui avons gagné des droits mais aussi pour tous ceux qui dans le monde ne peuvent vivre cette liberté”.
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