door Ivan de Vadder © Le Soir
On reste encore loin du «cauchemar» évoqué par le Bye Bye Belgium de 2006, mais en attendant que se réalise un jour le rêve d’indépendance, les Flamands chérissent leurs symboles: un jour férié, un hymne, une Constitution et quelques ajustements.
Une jeune région qui souhaite se détacher le plus vite possible du carcan belge, et de ses voisins francophones dans la maison belge. C’est souvent l’image que la Flandre donne aux voisins wallons et bruxellois. Pas indûment : le parti politique dominant en Flandre, la N-VA, prône l’indépendance flamande, et certains Flamands rêvent encore et toujours de cette république flamande, vu que le séparatisme va souvent de pair avec un sentiment antiroyaliste.
Comme je l’ai expliqué il y a deux semaines, ce rêve indépendantiste a beaucoup de caractéristiques d’une utopie (avec, pour les utopistes, toute la force typiquement associée à cette image idéale; même en réalisant parfaitement qu’à court terme cet avenir est irréalisable). Et tant que cette indépendance reste un rêve lointain et inaccessible, les nationalistes flamands chérissent leurs symboles: un jour férié, un hymne, une Constitution et quelques ajustements.
À la fin du mois de janvier, le roi présente traditionnellement ses vœux aux autorités du pays, qu’on appelle aussi les Corps constitués. Le protocole joue un rôle important lors de cette réunion : les principales autorités politiques – dans l’ordre de préséance – saluent au début de la cérémonie le roi et sa famille. Un ordre de préséance que la N-VA voudrait modifier depuis le début de la législature. Actuellement, les ministres-présidents des entités fédérées n’apparaissent qu’après les présidents de la Chambre et du Sénat, le Premier ministre, les vice-Premiers ministres, le ministre des Affaires étrangères, le premier président et le procureur général de la Cour de cassation, le président de la Cour constitutionnelle et les présidents des parlements des communautés et des régions. Selon Jan Jambon, ministre de l’Intérieur, les représentants des entités fédérées devraient avoir la priorité sur les représentants de l’Etat belge. Un des petits ajustements souhaité par la N-VA, en attendant des réformes radicales.
Jan Peumans, le président du parlement flamand depuis 2009 et républicain dans l’âme, n’a jamais participé à la cérémonie au Palais royal. Pour sa part, il reçoit les «Corps constitués flamands» le 11 juillet, lors de la fête flamande, dans la salle gothique de l’Hôtel de Ville de Bruxelles. Une cérémonie qui s’inspire de la version belge (une Flandre indépendante ressemblera à la Belgique, qu’elle le veuille ou non), sauf que c’est le président du parlement qui rend les honneurs, comme il sied, aux entités fédérées. Après le discours du président – pendant des années devant un public debout dans un protocole bâclé; maintenant devant un public assis et rangé selon l’ordre protocolaire comme lors de la cérémonie belge – les invités se pressent vers la cour de l’hôtel de ville, à cause de la chaleur insupportable des premiers jours caniculaires au début de juillet.
La célébration de la fête de la Communauté flamande à l’hôtel de ville de Bruxelles est une tradition qui a été introduite en 1979. Seulement deux exceptions ont été faites: en 1996 quand le nouveau bâtiment du parlement flamand dans la rue Ducale venait d’être mis en service, et en 2002 lors de l’inauguration du bâtiment des Postchèques où se trouvent les bureaux des parlementaires flamands. Toutes les autres années, le président accueillait les «Corps constitués flamands» dans la salle Gothique de l’hôtel de ville de Bruxelles, une façon de mettre en exergue les liens entre la communauté flamande et Bruxelles. Les Flamands bruxellois – qui de nos jours se sentent et s’appellent de plus en plus des Bruxellois flamands – célèbrent aussi ce jour férié. C’est la raison pour laquelle les «Corps constitués flamands» sont honorés en premier lieu par l’échevin flamand de la ville de Bruxelles. Un discours qui n’est pas toujours aussi bien accueilli par les invités flamands.
En 2015, à leur grand mécontentement, les «Corps constitués flamands» furent rappelés à l’ordre par l’échevine socialiste Ans Persoons. La source de scandale, ce fut l’introduction, cette année-là, du chant de l’hymne flamand, le Vlaamse Leeuw, à la fin de la cérémonie. «Un mauvais signal aux allophones, considérait Persoons, le texte du chant est assez agressif.» En 2010, après un discours du même Peumans sur l’identité et la construction nationale flamande, la libérale bruxelloise Els Ampe cria : «Arrêtez, vous salissez la réputation du peuple flamand avec votre nationalisme !» La politique communautaire n’est jamais loin lors de la cérémonie flamande.
En 2016, le ministre-président du gouvernement flamand, Geert Bourgeois, proposa un départ de l’hôtel de ville. «Peu importe la beauté de la salle gothique de l’hôtel de ville de Bruxelles, ce n’est pas un endroit approprié pour une fête. Une salle où il y a des chaises pour tous les invités et une scène pour les orateurs et les musiciens se prêterait mieux. » Mais les politiques flamands de Bruxelles s’opposèrent fermement à un départ. L’écologiste Bruno De Lille (à l’époque lui-même échevin flamand de Bruxelles) raconte comment ses collègues francophones voulaient régulièrement «chasser les fêtards flamands de l’hôtel de ville». «Le fait que la Flandre tournerait maintenant le dos à la capitale est incompréhensible et un signal totalement faux», tonna De Lille.
Bourgeois a voulu donner à la fête flamande un sens nouveau et formel. La communauté flamande commémore le 11 juillet la Bataille des Éperons d’Or de 1302, et Bourgeois a proposé de promulguer ce jour-là une Constitution flamande. «Le jour commémoratif de la Bataille des Éperons d’Or sera alors également le jour commémoratif de la Constitution flamande», dit-il en 2016. Concrètement, ce texte existe déjà : en 2012, le gouvernement flamand, sous la présidence de Kris Peeters, a introduit un projet de «Charte pour la Flandre» qui est rédigée sur base de la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union européenne. Ce texte parle donc aussi du droit d’asile selon les règles de la Convention de Genève, de l’interdiction des expulsions collectives et de l’interdiction d’expulser quelqu’un vers un pays où il pourrait être soumis à la torture. Mais le parlement flamand a négligé de le voter en 2012. Et quand Geert Bourgeois en 2016 ranima l’idée d’une Constitution flamande, le CD&V, par la bouche de la ministre Hilde Crevits, proposa, tout simplement, de voter ce texte de 2012. Mais Bourgeois resta plutôt réservé, il préférait un texte «à nous», les Flamands, et refusait de «copier-coller des dispositions des traités internationaux».
La conclusion: en 2018, cette Constitution flamande – un des ajustements souhaité par la N-VA – est donc loin d’être réalisée. On reste quand même loin du « cauchemar » évoqué par Bye Bye Belgium, le faux documentaire de la RTBF de 2006, selon lequel la Flandre annonçait sa déclaration unilatérale d’indépendance. Au contraire, dans une étude « Het merk België » («La Marque Belgique»), effectuée en 2017 par Jan Callebaut (Why5Research), il a été demandé à un échantillon représentatif de néerlandophones et de francophones d’attribuer un score au pays « Belgique ». Le résultat des néerlandophones fut supérieur au résultat des francophones. La conclusion de Callebaut : «Il y a un paradoxe fondamental, c’est qu’un parti qui plaide en faveur d’une Flandre indépendante rend la Belgique plus forte, en dirigeant au niveau fédéral.»
Sauf qu’un jour, pour la N-VA, l’utopie flamande se réalisera. Ce serait une erreur de se tromper à ce sujet, ébloui par la dominance du drapeau tricolore en ce moment dans les rues belges.
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